Derrière chaque fiction se cache parfois une part de vérité. Nombre d’écrivain·es choisissent le roman pour raconter leur vie, brouillant les frontières entre réel et imaginaire. Un subtil jeu de miroirs où l’intime affleure entre les lignes.
Plutôt que de livrer une autobiographie classique, de nombreux écrivain·es choisissent de raconter leur vie sous forme de roman. Ce choix leur permet de transformer leurs souvenirs en fiction, de brouiller les frontières entre réalité et imaginaire et de nous offrir une histoire à la fois intime et universelle. Ces autobiographies romancées dévoilent l’écrivain.e derrière l’ouvrage, tout en conservant la puissance de la narration romanesque. Ces récits, empreints d’authenticité et de sensibilité, offrent une plongée unique dans la vie et l’âme de leurs auteur·rices.
En finir avec Eddy Bellegueule – Édouard Louis
À seulement 21 ans, Édouard Louis publie « En finir avec Eddy Bellegueule », un récit largement inspiré de sa jeunesse. Salué pour sa force littéraire mais aussi controversé, le livre lui vaut en 2014 le prix Pierre Guénin contre l’homophobie et pour l’égalité des droits.
Roman autobiographique, il raconte son enfance dans un village ouvrier du nord de la France, marquée par la pauvreté, la virilité imposée et le rejet de la différence. Harcelé à cause de son homosexualité qu’il tente de dissimuler, Eddy s’efforce de se conformer aux attentes jusqu’à ce que la fuite devienne sa seule issue. Texte brut et sincère, ce récit d’émancipation dénonce l’enfermement social et l’homophobie, tout en portant un message d’espoir pour tous ceux que la différence a condamnés à l’exclusion.
Le pays des autres – Leïla Slimani
Avec « Le pays des autres » paru en 2020, Leïla Slimani inaugure une fresque familiale directement inspirée de sa propre histoire. Elle y retrace le destin de ses grands-parents : Mathilde, une jeune Alsacienne, et Amine, un Marocain engagé dans l’armée française, qui s’installent à Meknès au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Tandis qu’Amine s’épuise à cultiver une terre aride, Mathilde vit l’isolement, l’exil et la difficulté d’être étrangère dans un pays en pleine mutation.
À travers cette saga intime et historique, Slimani explore les fractures coloniales, l’émancipation des femmes et la quête d’identité, thématiques étroitement liées à son héritage franco-marocain.
Alice Zeniter – L’art de perdre
Publié en 2017, « L’Art de perdre » d’Alice Zeniter est une fresque familiale bouleversante qui retrace, sur trois générations, l’histoire d’une famille prise dans les déchirures de la guerre d’Algérie et de l’exil.
Le récit débute dans les années 1930 avec Ali, en Kabylie. Devenu harki, il est contraint de fuir son pays et de s’installer en France où commence une vie marquée par la précarité et le silence. Son fils Hamid grandit dans ce mutisme, incapable d’obtenir des réponses aux questions qui le hantent. Des décennies plus tard, Naïma, petite-fille d’Ali, élevée à Paris, se retrouve à son tour confrontée au poids de cette mémoire occultée, que les attentats de 2015 viennent brutalement raviver.
Roman de l’exil et du déracinement, « L’Art de perdre » explore les blessures laissées par la colonisation, le silence transmis de génération en génération et la difficulté à dire l’amour et la douleur. Profondément humain, ce livre a été couronné par de nombreux prix dont le Prix Goncourt des lycéens.
Delphine de Vigan – Rien ne s’oppose à la nuit
Dans « Rien ne s’oppose à la nuit », Delphine de Vigan remonte le fil de la vie de sa mère Lucile, marquée par la lumière, l’excès et la tragédie. Derrière l’apparence joyeuse d’une grande fratrie se cachent secrets, drames et un père toxique. Peu à peu, Lucile bascule dans la maladie mentale, enfermée dans les cycles implacables de la bipolarité.
Entre enquête familiale, mémoire et fiction, l’autrice dresse le portrait nuancé d’une femme tourmentée et explore le pouvoir de l’écriture à dire l’indicible. Un récit intime, bouleversant et profondément humain.
Sorj Chalandon – Le livre de Kells
C'est l'un des titres les plus attendus de la rentrée littéraire 2025 : L'ancien grand reporter devenu écrivain multi-récompensé Sorj Chalandon publie « Le Livre de Kells ».
L'auteur de « L'enragé » nous entraîne ici dans ses dix-sept ans. Sac à dos et certificat d’émancipation en poche, il rêve de fuir Lyon pour Ibiza ou Katmandou, mais échoue à Paris. Sous le nom de Kells, inspiré d’une carte postale irlandaise, il découvre la rue, la faim, la solitude, avant de croiser Marc, ouvrier et militant de La Cause du Peuple. Grâce à lui, il rejoint la Gauche prolétarienne, ce mouvement maoïste qui a marqué les années 1970. Fuyant un père violent et raciste, l’adolescent cabossé trouve peu à peu sa voie grâce aux colères partagées et à l’élan collectif. Autobiographique et vibrant, « Le Livre de Kells » oscille entre rage et tendresse. Avec sa langue simple et percutante, Chalandon capte la beauté fragile des instants et l’espoir qui subsiste au milieu de la crasse.
Albert Camus – Le premier homme
Publié de façon posthume en 1994, « Le Premier Homme » est le grand roman inachevé d’Albert Camus, retrouvé dans la sacoche qu’il transportait lors de l’accident qui lui coûta la vie en 1960.
À travers Jacques Cormery, son double de fiction, Camus évoque son enfance pauvre en Algérie, une mère silencieuse, un père mort à la guerre, et l’instituteur qui changea son destin. Entre quête d’un père absent et mémoire d’un pays lumineux mais marqué par la pauvreté et la colonisation, il livre son récit le plus intime.
Roman inachevé mais habité, « Le Premier Homme » mêle autobiographie et témoignage, éclairant la condition des « Français d’Algérie » et les racines d’un écrivain.
Annie Ernaux – Les années
Avec « Les Années », Annie Ernaux signe un ouvrage unique qui mêle autobiographie et mémoire collective. À la troisième personne, l’écrivaine retrace son existence depuis l’après-guerre jusqu’au début des années 2000, tout en la fondant dans l’histoire sociale et culturelle de la France. À travers ses souvenirs personnels, conversations de famille, télévision au café du coin, premiers départs en vacances, slogans publicitaires ou grandes dates comme Mai 68 et l’élection de 1981, Ernaux dessine un portrait sensible d’une époque et des transformations d’un pays. Les mots, les objets du quotidien, les gestes et les sensations deviennent autant de jalons qui racontent soixante ans de vie et de société.
Ce récit, à la fois intime et universel, évoque la mémoire, le passage du temps, l’élévation sociale, mais aussi la fragilité de nos existences faites de milliers de sensations éphémères. En rendant compte de ce qui disparaît avec nous, Annie Ernaux rappelle avec justesse et émotion ce qui fait que la vie mérite d’être vécue.
Stefan Zweig – Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen
Écrit peu avant son suicide, ce texte est à la fois une autobiographie et un témoignage historique. Stefan Zweig y raconte son enfance à Vienne, son ascension comme écrivain, ses rencontres avec de grandes figures culturelles, mais aussi l’effondrement de l’Europe humaniste face à la montée des totalitarismes. C’est un livre bouleversant, à la fois personnel et universel.
Haruki Murakami – Abandonner un chat
Haruki Murakami nous invite à voyager à travers son passé : Avec douceur et pudeur, il partage quelques souvenirs marquants de son enfance - les chats en font partie - et évoque l'histoire de sa famille et rendant un hommage touchant à son père bien que la relation avec son père ait été faite d'incompréhensions, de non-dits et d'attentes déçues. Le récit s’ouvre sur une situation vécue alors que Murakami était âgé de six ans. Il se souvient du jour où son père l'emmène sur la plage afin d'y abandonner leur chat. En arrière-plan, on apprend beaucoup sur l'histoire du Japon, on découvre les guerres qui ont changé les hommes. C'est aussi une réflexion sur le hasard qui jalonne notre vie. Un très beau récit.
Amélie Nothomb – Stupeur et tremblements
Avec « Stupeur et tremblements » (1999), Amélie Nothomb livre un récit directement inspiré de sa propre expérience professionnelle au Japon. Jeune diplômée, elle intègre une grande entreprise nippone avec l’enthousiasme de retrouver le pays où elle a passé une partie de son enfance. Mais très vite, ses idéaux se heurtent à la rigidité hiérarchique, au poids des conventions et au rôle étroit assigné aux femmes. Rétrogradée de tâches en tâches humiliantes, elle observe avec ironie et lucidité les rouages implacables de cette société. Entre satire, confession et chronique d’exil, ce texte autobiographique, couronné par le Grand Prix du roman de l’Académie française, révèle autant le choc culturel que la capacité de Nothomb à transformer ses épreuves en littérature.
Les enfants de la liberté – Marc Levy
Dans « Les Enfants de la liberté », Marc Levy rend hommage à son père et à son oncle, deux très jeunes hommes juifs engagés dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Inspiré de faits réels mais porté par une écriture romanesque, ce récit bouleversant retrace le destin de Jeannot (Raymond dans la réalité) et de son frère Claude, à peine dix-huit ans, animés par une conviction inébranlable : se battre pour la liberté.
À travers leur parcours, l’auteur raconte le courage de toute une génération de garçons et de filles qui ont choisi de risquer leur vie plutôt que de subir l’oppression. Entre solidarité et sacrifices, le roman met en lumière la force des idéaux, mais aussi les injustices, comme la trahison de certains officiers français refusant de reconnaître le rôle décisif joué par les résistants étrangers.
Marc Levy, parfois critiqué pour son style jugé trop « populaire », trouve ici une justesse parfaite. Son écriture rend palpable l’élan de ces jeunes résistant.es et la dureté de leur combat. Ce livre n’est pas seulement un hommage familial, il est un témoignage vibrant, où chaque lueur d’humanité qui surgit au cœur de l’horreur redonne espoir et dignité.