Neuvième roman de Grégoire Delacourt, Un jour viendra couleur d’orange (Audiolib) nous plonge dans la crise des gilets jaunes, à travers l’histoire de personnages comme Pierre. Pierre est un père, Pierre est un mari, mais Pierre est aussi un homme en colère contre la société. Dans cette famille, entre Louise, infirmière, et Geoffrey, un fils qui ne trouve pas sa place dans la société, chacun semble se perdre dans un monde qui n’est pas le sien. Alors que Geoffrey, 13 ans, fait la rencontre de Djamila, Pierre rejoint un mouvement contestataire, dont la colère gronde, gronde, jusqu’à l’explosion, intime et collective. Un jour viendra couleur d’orange est une histoire où les intériorités se rejoignent autour d’un pivot commun : la parole du coeur. Et à l’occasion de la sortie du roman en livre audio, nous avons rencontré Grégoire Delacourt.
Parce que ce vers « Un jour viendra couleur d’orange » fait parfaitement écho à la construction du livre (des chapitres qui portent tous des noms de couleurs) et surtout, parce qu’il exprime une formidable et immense espérance que je partage, même en ces temps sombres.
Dans les deux cas, l’enfance et le « combat », il y a l’espoir.
L’époque est d’une très grande richesse complexe. Un régal pour un écrivain. Écrire, c’est aussi porter un regard sur ce qu’on vit. C’est essayer de comprendre. C’est témoigner.
Une problématique sociale, c’est avant tout une émotion. Celle de ne pas se sentir respecté, par exemple. De se vivre du côté de l’injustice. Du mépris. Du rejet. Tout cela sont des émotions humaines très fortes. Quand on les écoute alors ce mariage se fait simplement. Et de façon très évidente.
Tout s’est mis en place lors d’une délibération du jury du Prix Marcel Pagnol dont je fais partie. Nous parlions des livres finalistes qui ont tous pour point commun l’enfance et j’ai ce jour-là ressenti un besoin d’y retourner. De renouer avec l’émerveillement. Au fond, on n’en a jamais fini avec l’enfance.
Il y a deux grands types de colères. La colère sociale et la colère privée. Pour la première elle vient du fait que le pacte tacite fait avec l’État et que décrivait très bien Hobbes dans son Leviathan, n’est plus respecté. On a renoncé à de la liberté contre de la sécurité et on s’aperçoit qu’on n’a pas reçu cette sécurité promise. Alors la colère. Que je trouve légitime. Ensuite, la colère privée. Souvent celle contre soi que l’on retourne contre les autres. Dans mon livre, Pierre, le père de Geoffroy, va profiter du bruit de la colère sociale des Gilets Jaunes pour crier ses propres douleurs. On se cache souvent dans une meute.
Si l’on parle des Gilets Jaunes, il y a quelque chose d’émouvant à penser que ce jaune fluo qu’ils portent évoque, la nuit, les lueurs qu’émettent les lucioles. Elles le font non pas tant pour être vues que pour être retrouvées par les autres. Leurs semblables. C’est là quelque chose d’essentiel. Se retrouver. Être ensemble dans une même souffrance. Pour la partager. L’alléger.
Toujours mon besoin, pour ce texte, d’être en phase avec l’époque. Elle est particulièrement complexe, on l’a dit. Morcelée. La différence effraie. Elle engendre la violence, comme dans le cas de Geoffroy. Le racisme, comme dans celui de son amie Djamilla. La colère, à cause des trop nombreuses petites phrases minables des gouvernants. Écrire, c’est aussi dénoncer. C’est-à-dire faire connaître. Car seule la connaissance permet d’améliorer les choses.
L’envie très profonde de rendre hommage à tous ceux qu’on bouscule.
Sans doute qu’avec le temps je dégraisse davantage. J’essaie d’aller à l’os des mots. Quant à l’engagement, c’est le sujet qui commande. Mais oui, dans une période suspecte, dangereuse même, de bien-pensance, je continue à croire qu’un livre doit secouer. Cogner. C’est peut-être même l’un des derniers lieux de liberté.
Sans doute. Ce sont les utopies qui ont dessiné le monde.
Il est faux de croire que les autres, et je pense à ceux qui nous dirigent, vont régler nos problèmes. Il y a bien longtemps que la politique s’est détournée de sa fonction. On a coupé la tête du Roi en 1793 mais pas celle de la monarchie. Elle est là. Elle porte d’autres noms. D’autres atours. Elle est une caste qui ne vit que pour sa survie. Il est temps de reprendre notre pouvoir d’être heureux.
C’est extraordinaire de penser qu’il va être lu à des personnes qui ne peuvent pas lire. Qui n’ont pas toujours le temps de lire. Qu’il va accompagner des heures durant des voyageurs. Des routiers. Des gardiens de nuit. Il va être chuchoté. Il va être vivant.
Du côté des indiens, d’Isabelle Carré (Grasset, 2020).
(Crédit photo : JF Paga)