Dans Le 21ème Homme, vous vous intéressez aux hommes aujourd’hui, à l’ère post #metoo. Pouvez-vous nous parler de votre démarche ?
Depuis quelques temps, les deux sexes jouent contre, et la masculinité toxique est au coeur de tous les débats. Je me demandais comment les hommes vivaient cette remise en question de leur valeur. Qui sont les hommes aujourd’hui? Que veulent-ils? Quel rapport entretiennent-ils au sexe, au couple, à l’argent, à la paternité? Que peut-on attendre d’un homme en 2020?
Mon objectif en écrivant ce livre n’était pas de provoquer un débat d’idées ni de chercher à établir une vérité sur l’homme interrogé, mais plutôt de l’amener à divulguer une parole libre. Je ne suis ni psychologue, ni sociologue, ni journaliste. Je suis auteur et réalisatrice de documentaires. Alors j’ai fait ce que je sais faire. Je suis partie à la rencontre d’hommes et j’ai recueilli leur parole. Et pour parler, ils ont parlé! Ils me dévoilent des choses qu’ils ne révèlent ni à leur psy, ni à leur compagne, ni à leurs copains.
Seule une femme pouvait les inviter sur ce terrain. On m’a d’ailleurs demandé si ma démarche était féministe. Je dirais qu’elle est celle d’une femme, dans toute sa véracité, ses contradictions et sa sincérité. Une femme qui a vécu, voyagé, aimé, perdu, échoué, divorcé, recommencé, et qui se garde depuis de théoriser. Ce qui m’intéressait, c’était d’écouter les hommes, sans parti pris. De découvrir leur ressenti, leur questionnement intérieur, leur peurs, leur désirs, leur secrets aussi. Ce qu’ils pensent mais ne disent jamais.
Ce livre, je l’ai écrit pour les femmes, pour les hommes. Pour moi aussi, j’avoue. On gagne tous à mieux se connaître.
Comment avez-vous sélectionné les profils des hommes auxquels vous vous êtes intéressée ?
Je suis allée les chercher dans des milieux très différents. J’ai interrogé toutes sortes d’hommes: banquier d’affaire, chômeur, agriculteur, policier, homme politique, artiste, homme au foyer… J’ai choisi de me pencher sur les 35-55 ans, célibataires ou en couple qui ont une expérience de la conjugalité et de la paternité et qui ont connu des échecs comme des réussites. J’en ai rencontré 50 et choisi 20 pour ce livre. Ce n’est pas une base statistique. Ces hommes sont nos frères, nos maris, nos ex, nos amants, nos futurs conjoints.
Au fond, ce que vous nous dites en creux, c’est que les hommes sont, eux aussi, victimes du système hétéro-patriarcal ?
J’étais surprise de découvrir que la plupart des hommes interrogés (quel que soit le milieu socio-culturel ou l’âge) adhère à une redéfinition du “masculin”. Je me suis d'ailleurs rendue compte que c’est sans doute parce que la majorité des hommes est favorable à l’égalité hommes-femmes et commence à agir au quotidien en ce sens, qu’une fraction délétère est aujourd’hui tenue de rendre des comptes.
L’émancipation des femmes ne s’est pas faite de façon hermétique. Les hommes étaient à côté, pour ne pas dire en face. Il semblerait qu’ils se soient par osmose ou par défaut, eux-mêmes émancipés. Si bien qu’ils revendiquent aujourd’hui une part de “féminité”, c’est à dire le droit, selon eux, d’être sensible, vulnérable, maternel et de ne pas répondre aux injonctions contradictoires de la société à leur égard, au modèle du père qui incarne un archétype masculin parfois sclérosant. Les hommes que j’ai interrogés s’avèrent loin des poncifs du mâle dominant et autosuffisant. Ils avouent souffrir de la pression à devoir assurer sexuellement autant que professionnellement. Etre un homme et la quête de virilité qui en incombe est toujours inscrite dans l’agenda, mais apparemment pas dans leur chair!