Écrit par Jules Renard, ce roman autobiographique publié en 1894 chez Flammarion prend pour personnage principal le fameux Poil de Carotte, petit garçon roux martyrisé par sa famille. Si une édition définitive, augmentée de cinq nouveaux récits et illustrée par Félix Valotton, sera publiée en 1902, il n’en reste pas moins que ce livre s’est rapidement imposé comme un indispensable d’une bibliothèque audio. Petit tour d’horizon d’une œuvre pas comme les autres !
Que raconte Poil de carotte ?
Pour comprendre ce que Poil de carotte a de particulier, il faut d’abord comprendre ce qui est en jeu dans cet ouvrage. Jules Renard nous raconte ici l’histoire d’un enfant mal-aimé, François Lepic. Surnommé “Poil de Carotte” en raison de ses cheveux roux et de ses tâches de rousseur, le garçon grandit au sein d’une famille pas toujours facile.
Car oui, Poil de carotte est le petit dernier d’une fratrie de trois enfants. Il grandit entre une mère tyrannique, envahissante, qui le déteste, et un père lâche et silencieux. En parallèle, il subit le harcèlement et les humiliations de son frère Félix, ainsi que de sa sœur Ernestine. Au milieu de cette famille, l’image de Poil de Carotte est celle d’un enfant délaissé, abandonné sous la table à manger, malgré tout l’amour qu’il a à donner.
La force de ce roman est qu’ici, Jules Renard ne distille pas seulement des scènes quotidiennes d’humiliations sans ordre chronologique. Il nous montre également un fils aimant malgré la haine maternelle, qui reste rusé malgré la honte. Un symbole fort, qui rendra le personnage de Poil de carotte inémodable.
Avec une ironie et un fin sens de l’observation, l’auteur maintient au fil de l’histoire un certain équilibre narratif, où chaque membre de la famille reste campé sur ses positions. Tout ceci tient jusqu’à la parole finale, qui rendra presque à cette famille une dose d’harmonie. Mais ce livre n’existerait pas si l’auteur ne s’était pas inspiré du meilleur des modèles : sa propre vie.
Un livre autobiographique
C'est un fait, “Poil de carotte” est directement inspiré de l’enfance de Jules Renard, qu’il passa à Chitry-les-Mines, non loin de Nevers, au sein d’une maison qui existe encore aujourd’hui ! L’idée du personnage de François Lepic remonte à cinq années avant la parution du roman. Tout part de cette situation où la véritable mère de Jules Renard se montra hostile à sa compagne. Une attitude à laquelle l’auteur assista, et qu’il jugera intolérable. C'est à partir de ce moment-là que naîtra son désir de coucher sur le papier son histoire, poussé par un esprit de vengeance.
Le nom de famille, Lepic, est tout simplement imaginé pour rendre compte d’une certaine dureté qu’avait manifesté la mère. Le surnom “Poil de carotte”, quant à lui, s’inspire tout simplement de la rousseur de Jules Renard lui-même. Avec autant d’inspirations puisées dans la vie réelle, l’expression “ça ne s’invente pas” prend toute sa dimension !
Mais si ce livre est devenu le plus célèbre de son auteur, ce dernier n’en était toutefois pas satisfait, jugeant son travail “incomplet et mal composé”. En 1894, il écrit même à sa sœur : "Voilà un livre dont on peut dire que ce n'est pas un cadeau à faire à sa famille". Entre intime et collectif, “Poil de carotte” est pourtant un livre qui attrape le lecteur, qui se retrouvera toujours dans cette volonté de ce petit garçon de grandir et d’évoluer malgré les embûches. Car, il faut bien le dire, la famille est et restera un thème universel, qui fait écho à toutes les histoires personnelles !
Un livre devenu un classique
Si ce livre est aussi connu, c’est donc probablement en partie grâce à ce thème si collectif qu’il met en scène. Au fil du livre, on découvre un enfant sensible, intelligent, dont l’histoire ressemble à toutes celles des enfants mal-aimés. À l’instar de Charles Dickens ou de Jules Vallès, Jules Renard hisse son personnage au rang des enfants rongés par le désamour, mais réussit également à remettre en cause la conception traditionnelle de l’amour filial.
S’il se destinait d’abord aux enfants, ce livre s’adresse également aux adultes, grâce à un style simple, oscillant entre le comique et l'émotion profonde. Et c’est bien là la force principale de “Poil de carotte” : son interprétation change selon l’âge de son lecteur. Dans un premier stade, on assiste à des ruses et autres situations cocasses, devant lesquelles on peut s’amuser lorsqu’on est plus jeune. Mais au fil du temps, notre regard s’affine, et on réalise qu’il s’agit là d’un réel traumatisme, dont l’enfant est bel et bien victime.
“Poil de carotte” est donc rapidement devenu un classique de l’autobiographie, mais, plus globalement, un classique de la littérature française. C’est la raison pour laquelle de nombreuses adaptations en ont été faites, qu’il s’agisse de cinéma, de comédie musicale, ou encore de bande-dessinée. Parmi les plus notables, pourrait citer l’adaptation au théâtre en 1900, avec Suzanne Desprès dans le rôle-titre, ou encore le dessin animé éponyme, diffusé en 1997.
Il n’en reste pas moins que si autant d’artistes s’en sont emparé, c’est bien que cette œuvre a une résonance toute particulière en chacun de nous. Comme un écho à l’enfant que nous avons été, que nous sommes toujours, ou que nous serons demain. Car la famille est ce socle indéboulonnable, qui forge une identité, renforce les liens d’appartenance, et capture l’enfant qui sommeille en nous, et ce, pour toujours.
