Probablement que nul autre auteur français n’a su, comme Marcel Pagnol, conjuguer la puissance évocatrice des livres et la magie du cinéma. Né en 1895 à Aubagne, il devient l’un des premiers écrivains‐cinéastes consacrés par le grand public avant d’entrer, en 1946, à l’Académie française. Entre le succès populaire de ses pièces telles que « Marius », « Fanny » ou encore « Topaze », et la tendresse de ses « Souvenirs d’enfance », Marcel Pagnol a offert à plusieurs générations les parfums de la garrigue, la musique d’un accent et un regard inimitable sur la vie provençale.
Contexte historique et biographique
Fils d’un instituteur (père Joseph) et d’une mère musicienne, Marcel Pagnol grandit entre Aubagne et Saint‐Loup, près de Marseille. Ses premiers souvenirs d’enfance, ses parties de chasse dans les collines, ses siestes sous les pins parasols, les escapades près du canal de la Sainte-Baume, formeront la trame de « La Gloire de mon père » et du « Château de ma mère ».
Brillant normalien, il enseigne l’anglais à Montpellier puis à Paris. Mais la salle de classe l’enferme tandis que la scène l’attire. Il écrit des pièces légères, fréquente les cafés du Quartier latin, observe les Parisiens afin de mieux croquer leurs travers dans son futur théâtre.
En 1924 paraît son premier livre, « Pirouettes », mais la vraie percée arrive en 1929 : « Marius » triomphe au Théâtre de Paris. Le public se délecte du verbe méridional ; la « trilogie marseillaise » (« Marius », « Fanny », « César ») assoit sa notoriété.
Séduit par l’avènement du parlant, Pagnol fonde ses studios à Marseille en 1934. Il tourne « Jean de Florette », « Angèle » ainsi que « La Fille du puisatier », qui associent plans larges sur les collines et dialogues. Son cinéma décrit la Provence sans folklore, avec les éclats de rire et de drame d’un village réel.
Les livres majeurs de Marcel Pagnol
Romans autobiographiques
La Gloire de mon père
« La Gloire de mon père » (1957) ouvre le cycle des « Souvenirs d’enfance ». À travers les yeux émerveillés du petit Marcel, l’ouvrage retrace un premier été dans les collines de l’arrière-pays marseillais : installation dans la bastide, exploration des garrigues, initiation à la chasse en compagnie du « père instituteur » qu’il vénère. Chaque page restitue l’éclat du mistral, le parfum du thym, la naïveté des paris enfantins. S’y mêlent fierté paternelle, camaraderie avec le farceur Lili des Bellons et drôlerie des dialogues, servis par l’écriture limpide, chantante, de Pagnol.
Le Château de ma mère
« Le Château de ma mère » (1957) prolonge ce bonheur lumineux, mais lui confère une tonalité plus nostalgique. Afin de rejoindre la maison d’été, la famille emprunte en fraude les canaux gardés de la propriété des Bellons ; chaque passage clandestin devient une aventure, parfois drôle, parfois angoissante. Au cœur du récit se dessine le portrait affectueux de la douce Augustine, mère aimante, mais fragile, dont la santé vacille. La complicité mère-fils, les pique-niques au bord de l’eau, les marches crépusculaires forment un hymne à l’amour filial que nimbe déjà la mélancolie de l’inéluctable.
Fictions rurales
Jean de Florette
« Jean de Florette » (1963) est le premier volet du diptyque « L’Eau des collines ». Dans les collines arides de Provence, Ugolin et son oncle César Soubeyran — dits « les Papet » — convoitent un terrain doté d’une source cachée. Pour l’acquérir à bas prix, ils laissent l’eau se tarir puis observent, impassibles, l’arrivée de Jean Cadoret, héritier bossu et citadin, venu cultiver son utopie agricole. Jour après jour, la sécheresse broie ses rêves tandis que la convoitise des Soubeyran grandit. Marcel Pagnol tisse ici une tragédie paysanne où le silence, le mensonge et la soif deviennent des armes : un drame implacable sur la rivalité, l’aveuglement et la cruauté du destin.
Manon des sources
« Manon des sources » (1963) reprend le fil quelques années plus tard. Manon, la fille de Jean, a grandi parmi les collines et les chèvres. Elle a nourri une colère sourde contre ceux qui ont détruit son père. Lorsque la vérité sur la source émerge, elle orchestre une vengeance poétique : un geste simple, couper l’eau du village, qui révèle la culpabilité collective et fait vaciller l’ordre social. Ce second tome boucle l’arc dramatique : aux secrets succèdent les aveux, et à la sécheresse feinte répond la justice implacable de la nature. Dans « Manon des sources », Marcel Pagnol conjugue lyrisme pastoral et règlement de comptes.
Romans et nouvelles marquants
La Fille du puisatier (1941)
Dans la Provence de 1939, Patricia, fille de puisatier, s’éprend de Jacques, fils d’industriel. Leur idylle est brisée par la mobilisation puis la rumeur d’une grossesse. L’honneur provençal, déjà corseté par les conventions sociales, se heurte au chaos de la Seconde Guerre mondiale.
Le Curé de Cucugnan (nouvelle de 1934)
Relecture savoureuse du récit d’Alphonse Daudet : un prêtre de village réveille la foi de ses paroissiens en décrivant un paradis quasi vide et un enfer débordant d’âmes « distraites ». Pagnol accentue l’humour, l’oralité provençale et la truculence des figures campagnardes en transformant la leçon de morale en fable jubilatoire sur l’humanité et ses faiblesses.
Fanny (pièce, 1931)
Abandonnée par Marius parti « faire le tour du monde », Fanny découvre qu’elle est enceinte ; pour sauver son honneur et celui de son enfant, elle accepte d’épouser le vieux Panisse. Entre passion et sécurité, la pièce explore le poids du regard social, la tendresse des pères de substitution et la dignité féminine.
Topaze (pièce, 1928)
Naïf professeur de collège, Topaze est limogé pour avoir refusé de falsifier un bulletin. Manipulé par des politiciens véreux, il glisse vers la corruption puis en devient le maître cynique. Satire féroce de la morale bourgeoise et des mœurs parisiennes, cette comédie exhibe la fragilité des vertus quand l’ambition rencontre l’argent, le tout servi par une mécanique de quiproquos d’une redoutable efficacité.
Le style de Pagnol et ses thèmes
L’évocation de l’enfance
Chez Pagnol, l’enfance est source d’émerveillement et de fractures fondatrices. Chaque roman autobiographique est un « je me souviens » avant Perec formidablement précis : odeurs de cade, sifflotement des cigales, craquement des bretelles du cartable.
L’importance de la mémoire
Sa prose ressemble à un album-photo : il fige les instants éphémères afin de mieux saisir l’émotion universelle. Les souvenirs deviennent patrimoine collectif : chacun retrouve un écho de son propre été d’écolier.
Le portrait de la Provence
Loin du cliché de carte postale, Marcel Pagnol révèle « son » pays : vents de mistral, lumière crue, langue savoureuse. Ce « provençalisme » est un art de vivre, mais aussi un laboratoire où se débattent jalousie, passion, superstition et sens aigu de l’honneur.
Humour mêlé de nostalgie
Répliques irrésistibles du pêcheur Escartefigue, coups de gueule de Panisse, proverbes inventés : l’humour allège la gravité des destins.
L’oralité et la musique des dialogues
Écrivain du verbe, Pagnol restitue la respiration méridionale : pauses, interjections, jurons. À la lecture audio, cette oralité se transforme en chant : écouter « La Gloire de mon père » fait rouler les « r » sous les platanes, comme au coin du bar de la Marine.
Les adaptations à l’écran
Autoproductions de Pagnol
« Angèle » (1934), « Regain » (1937).
Films par d’autres réalisateurs
« Fanny » de Daniel Auteuil en 2013
« Jean de Florette » et « Manon des sources » de Claude Berri en 1986, avec deux césars à la clé.
L’héritage littéraire de Marcel Pagnol
Une œuvre toujours vivante
Plus de soixante ans après la parution de ses derniers livres, Marcel Pagnol reste omniprésent en librairie : ses romans et pièces se déclinent en éditions de poche tandis que l’intégrale audio de ses « Souvenirs d’enfance » séduit chaque année de nouveaux auditeurs.
Un auteur transmis de génération en génération
Dans les classes de collège, « La Gloire de mon père » initie les élèves à la puissance du récit autobiographique et à la douceur nostalgique de l’enfance. Au lycée, « Jean de Florette » illustre, sous la plume d’un conteur populaire, la fatalité tragique chère aux grands naturalistes.
Une influence qui déborde le papier
Au cinéma, Claude Berri a offert une seconde vie à « Jean de Florette » et « Manon des sources », tandis que Daniel Auteuil revisite la trilogie marseillaise avec le respect du disciple. Dans le sillage de cet humanisme lumineux, des romanciers provençaux tels que Pierre Magnan ont revendiqué l’héritage pagnolesque : même attention aux humbles, même fusion entre terroir et universalité.
Recommandations : par où commencer avec Marcel Pagnol ?
Profil | Œuvre d’entrée | Atout |
Lecteur en quête d’émotion douce | « La Gloire de mon père » | Souffle d’enfance et drôlerie universelle |
Amateur de sagas tragiques | « Jean de Florette » puis « Manon des sources » | Suspense rural, personnages puissants |
Passionné de théâtre | « Fanny » | Dialogues ciselés, comédie du cœur |
Écoute audio familiale | Intégrale des « Souvenirs d’enfance » | Lectures idéales pour trajets d’été |
FAQ – Les meilleurs livres de Marcel Pagnol
Dans quel ordre faut-il lire les « Souvenirs d’enfance » ?
1. « La Gloire de mon père »
2. « Le Château de ma mère »
3. « Le Temps des secrets »
4. « Le Temps des amours » (roman posthume).
Où se situe l’Aubagne de Pagnol ?
Aubagne se situe à 20 km à l’est de Marseille, au pied du Garlaban. C’est le décor récurrent de ses « Souvenirs d’enfance ».
Pagnol a-t-il toujours filmé ses propres œuvres ?
Non. Après 1954, il cesse de réaliser. D’autres cinéastes adaptent ses livres (Berri, Buñuel, Daniel Auteuil, entre autres).