La vie d'une autre

C’est vous qui avez adapté et interprété en livre audio votre propre roman « La vie d’une autre » : vous pouvez nous raconter l’expérience ?

J'ai eu tout de suite envie d'adapter mon livre en audio. D'abord parce que je fais des lectures musicales et que je travaille déjà cette oralité du texte avec des musiciens. Il m'était facile d'avoir à disposition un studio et de partager ce moment de complicité.

J'ai donc demandé au grand musicien, poly-instrumentiste franco-américain Steve Shehan qui est un grand amoureux de la littérature s'il était d'accord pour que nous fassions cet enregistrement avec lui. Il ferait ensuite les virgules musicales. Je suis allée passer trois jours à la campagne, dans sa ferme où se trouve son studio. Nous avons enregistré avec des plages horaires que nous entrecoupions de moments dans le jardin, de repas que nous préparions ensemble et d'écoute de musique de son prochain disque. C'était exactement comme lorsqu'on enregistre en studio pour faire un album.

Quand je sentais que j'étais un peu fatiguée, très vite on bute beaucoup plus sur les mots, nous arrêtions. Ça demande beaucoup de concentration et également une grande attention quand on réécoute. Steve est quelqu'un de très exigeant sur la qualité du son, et pour ma part comme j'ai travaillé à la télévision et que j’ai fait du montage, c'est un aspect que je prends en compte. Nous avons vécu plusieurs jours « toute oreille déployée ».

« La vie d’une autre » vient de sortir en livre audio chez Audible, il a également été adapté au cinéma par Sylvie Testud : quelle sensation ça fait de voir son livre s’échapper sous différentes formes, ailleurs que sur le papier ?

En réalité je ne considère pas que le livre m’échappe. J'aime beaucoup l'idée de travailler avec d'autres artistes, y compris de les laisser s'emparer du livre pour y mettre leur patte, leur sensibilité, leur créativité et pourquoi pas leur génie. Un livre qui est adapté devient une autre œuvre et toute artiste même s’il reprend une œuvre existante doit avoir sa part de création. Et pour l’auteur de l’original, tout ce qui peut déployer un texte pour plonger dans une autre veine artistique est nourrissant.

Peut-il vous arriver de lire vos livres à voix haute pour prendre du recul face à ce que vous venez d’écrire ?

Il m'arrive fréquemment de lire des extraits, le travail d'une journée par exemple à haute voix. Mais hélas ça ne permet pas de prendre du recul. Au mieux on peut capter l'équilibre des phrases. Disons que c’est utile mais qu’on ne s’entend pas vraiment. En revanche, à la toute fin de la correction du roman, je paye un comédien qui vient me lire le livre en entier. Suivant la longueur du roman, ça prend un ou deux jours, j'ai mon exemplaire en main, je l’annote dans la marge et tout ce qui ne passe pas au son je le change. Il me semble que la fluidité de lecture en est améliorée.

Dans La vie d’une autre, on assiste à une forme de solitude, de mise à l’écart du personnage, qui donne naissance à une introspection et que l’on pourrait lier à d’autres romans que vous avez écrits, notamment le dernier, Sankhara : est-ce que c’est un ressort littéraire que vous essayez de développer dans vos histoires de manière consciente ?

Vous avez sans doute raison car c'est aussi ce qui arrive à l'héroïne dans Les brumes de l'apparence, dans Le voyage de Nina… Mais ce n'est pas un ressort littéraire que j'essaye de développer. Il se trouve que les personnages qui viennent à moi et auxquels je prête ma main ont cette façon de fonctionner. Peut-être viennent-ils à moi parce que je vais servir cet aspect de leur personnalité !

Dans vos histoires, les personnages sont souvent très profonds, très en lien avec le monde qui les entoure : quel type d’importance vous leur donnez ?

C'est justement ce mot, le lien, qui est très important. Ce qui nous caractérise dans notre modernité et notre tragédie, c'est de perdre ce lien avec le monde qui nous entoure. Nous séparons notre âme de notre corps, nous nous séparons de la nature, nous séparons ce que nous vivons de ce que vivent nos contemporains et nous finissons par être coupés de nous-mêmes.

La vie d’une autre est ce qu’on appelle un best-seller, et parmi les raisons de ce succès, il y a l’histoire, qui est captivante : qu’est-ce qui fait une « bonne » histoire pour vous ?

Une bonne histoire a plusieurs caractéristiques : même si elle est totalement incroyable, elle doit être vraisemblable et en cela elle devient votre quand vous la lisez. Des chercheurs neuroscientifiques ont examiné le cerveau d’un lecteur en train de lire un roman. Deux zones s’activent, celle du langage et ça n'est guère étonnant, et celle de la mémoire, ce qui est beaucoup plus intéressant à étudier. Car pendant notre lecture nous faisons sans cesse des allers-retours entre ce roman qui est une fiction et ce que nous avons vécu. Ainsi une bonne histoire est celle qui vous attrape par le cœur, celle qui vous entraîne entre les pages comme si vous étiez en train de la vivre.

Justement, quel est le pouvoir d’une bonne histoire selon vous ?

Un jour une lectrice m'a écrit qu'elle ne supportait pas la fin de mon livre et qu'elle avait déchiré l'épilogue pour le brûler dans sa cheminée. Parce qu’elle avait aimé ce qui précédait et que ça lui avait fait du bien, la fin lui était insupportable. Si une fiction peut faire ça, je crois que c'est une sorte de pouvoir.

Avez-vous des habitudes d’écriture ?

Oui et non. Je peux écrire n'importe où, mais pas au stylo à bille ! J’écris à la plume, ou au roller. Il faut que ça glisse sur des pages sans lignes avec un papier épais, pas blanc, plutôt crème. J'écris tous mes romans à la main dans des grands cahiers qui doivent être beaux. Avec une couverture de cuir, je les achète à Venise ou dans tous les lieux où je trouve ce type de cahier. Et je choisis aussi des maisons d’écriture où je vais passer quelques jours.

Écrire doit nécessairement être un plaisir pour vous ?

Je n'ai pas le sens de la souffrance dans l'écriture, donc l'écriture est un plaisir oui. Mais le plaisir n’empêche pas les difficultés et je travaille énormément. Je mets environ deux ans pour écrire un livre et quand je rends à mon éditrice, j'en suis déjà à la quatrième version. Le plaisir c’est ce premier jet quand on court comme un cheval fou dans la plaine.

La vie d’une autre est resté quatre ans dans un tiroir : vous avez d’autres best-sellers qui attendent sagement ?

J'aimerais bien le savoir ! Parce que la caractéristique d'un best-seller, c'est aussi que vous ne le savez jamais à l’avance. Ça ne se fabrique pas à la demande. (Ça se saurait !) Vous pouvez écrire un livre somptueux, une bonne histoire, celle dont les lecteurs auraient besoin à ce moment-là mais un best-seller, c’est aussi un moment favorable, un éditeur, des conditions qui ne dépendent pas de ce que vous avez écrit. Aussi formidable soit le livre, il ne dépend pas que de son auteur.

Quel genre de rapport entretenez-vous avec vos lecteurs ?

La plupart de mes lecteurs sont des fidèles. Parfois quelqu'un s'excuse en me disant dans un salon littéraire : je suis désolé(e) je n'ai rien lu de vous. Et je leur réponds que c'est une très bonne nouvelle ! Car ceux qui commencent en général continuent à me suivre. Ils m'écrivent et souvent me disent que c'est la première fois qu'ils écrivent à un auteur. Je réponds toujours.

Est-ce qu’il y a des livres qui changent la vie ?

Il y en a beaucoup oui et des auteurs aussi. Quand j’avais 17 ans j’ai lu Christine Pawlowska, Ecarlate, et ce livre m’a fait comprendre que j’écrivais et que ce n’étais pas innocent. Il y a eu le Prince de Marées de Pat Conroy et puis l’ensemble des livres de certains auteurs, Romain Gary, Anaïs Nin, Gabriel Garcia Marquez

Pour finir, un livre à nous conseiller en ce moment ?

Il y a certains livres qui correspondent à certains moments. Je conseillerais Les fleurs de l’ombre de Tatiana de Rosnay, très surprenant à lire en plein confinement, et La femme révélée de Gaëlle Nohant pour s'évader complètement de ce siècle.

Crédit photo : Astrid di Crollalanza

La Femme révélée