Exercices de style

Une période de remise en question de la littérature

Le contexte de création de l’Oulipo intervient alors que la langue connaît une remise en question profonde de ses codes et de ses possibilités. À l’occasion d’une Décade au château de Cerisy-la-Salle consacrée à Raymond Queneau, les futurs membres de l’Oulipo se rencontrent, et fondent ce projet particulier. Mélange de recherche de nouvelles formes langagières et d’invitation à l’invention, l’Oulipo favorise naturellement les potentialités du langage (notamment par la contrainte), et répond au besoin de l’époque de renouveler la littérature en France. Cela fait suite au mouvement surréaliste, dont le co-fondateur François le Lionnais était d’ailleurs un proche.

Construire soi-même un labyrinthe duquel on cherche à sortir, telle est l’ambition de l’Oulipo, dont les contours sont parfois difficiles à tracer ! Le groupe lui-même ne se définit ni comme de la littérature aléatoire, ni comme un mouvement littéraire, ni comme un séminaire scientifique. De quoi repenser tout le schéma littéraire ! C’est la raison pour laquelle l’écrivain Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais ont décidé de fonder ce projet, qui a adopté son nom définitif en février 1961. Mais si l’Oulipo est l’initiative d’un duo, il s’agit d’avant tout d’un projet collectif !

Un collectif d’expérimentateurs

L’Oulipo se définit en partie par le groupe qui le représente, fondé de manière informelle dès la Décade de Cerisy-la-Salle. On y retrouve alors des figures aussi variées qu’inventives, à l’instar de Albert-Marie Schmidt, Jean Lescure, puis Marcel Duchamp, Hervé le Tellier, ou encore Georges Perec, que l’on connaît aujourd’hui pour son ouvrage très célèbre, La Disparition, intégralement écrit sans la lettre “e”. Un ouvrage clé de l’Oulipo !

En premier lieu, l’Oulipo était une société secrète, au sein de laquelle les membres se réunissaient une fois par mois, autour d’ateliers de littérature expérimentale. L’enjeu ? Travailler le rapport de la langue avec les mathématiques, puisque la recherche de nouvelles structures passait, et passe toujours, notamment par la contrainte et par les procédés scientifiques.

Cette phase de travail se menait donc ensemble, à travers une notion qui a réussi à imposer le groupe sur le devant de la scène littéraire : le collectif.

Les enjeux de l’Oulipo

À l’origine, l’Oulipo pourrait être résumé à partir d’une phrase, que François le Lionnais dit à Raymond Queneau à propos de sa création :

Créer un atelier ou un séminaire de littérature expérimentale abordant de manière scientifique ce que n'avaient fait que pressentir les troubadours, les rhétoriqueurs, Raymond Roussel, les formalistes russes et quelques autres.

C’est dans cette perspective que le groupe prend l’initiative d’inventer de nouvelles formes à partir d’anciennes, pouvant donner lieu à des ouvrages complets et aboutis. Mais cette initiative permet aussi de travailler sur des œuvres déjà écrites, afin d’y retrouver des traces de structures oulipiennes. Tout un programme !

Pour résumer cette démarche, il pourrait donc être clair d’associer la notion de contrainte, comme un élément stimulant l’imagination et la création. Une position à part dans le paysage littéraire, qui a attiré bon nombre de figures populaires. C’est en partie la raison pour laquelle l’Oulipo a connu un tel succès, plaçant certaines œuvres comme des étendards du “style oulipien”. Parmi elles, on pourrait citer Exercices de style de Raymond Queneau, qui s’attèle à raconter la même histoire sous 99 formes différentes. Un exploit d’écriture, qui se perpétue encore aujourd’hui. Car l’Oulipo n’est pas de l’histoire ancienne, loin s’en faut !

Et aujourd’hui ?

Et oui, si ses membres fondateurs ne sont plus de ce monde, l’Oulipo existe toujours ! Par cooptation, de nouveaux membres viennent s’y greffer régulièrement, et représentent aujourd’hui la quintessence de l’écriture sous contrainte.

Jamais sans une note d’humour, l’Ouvroir de Littérature Potentielle continue donc à ouvrir de nouveaux débats d’écriture, et à publier des textes aussi différents que fulgurants. Et si certains ouvrages oulipiens s’adaptent particulièrement bien au livre audio, c’est que les exigences littéraires et structurelles auxquelles ils se soumettent rendent le langage oral passionnant à décrypter, et l’interprétation primordiale pour en saisir tous les enjeux.

Entre ateliers d’écriture et travaux universitaires, l’Oulipo ne cesse donc d’interroger, de fasciner, et si une chose est sûre, c’est que ça n’est pas près de s’arrêter !

Les Choses