Les prix littéraires sont un sujet fascinant, mais comment les juges départagent-ils les différentes oeuvres ? Nous allons décrypter pour vous comment réellement juger objectivement un livre.

Pourquoi l’industrie du prix littéraire existe-t-elle ?

Depuis l’âge d’or de la littérature française au 19e siècle, nous avons toujours célébré l’écriture de qualité. Présenté par l’académie de Paris, le prix Bordin est peut-être le plus ancien, mais le plus notable reste le prix Nobel qui fait partie intégrante du calendrier des arts depuis sa création en 1901. En effet, avec Anatole France , Albert Camus, ou encore Jean-Paul Sartre (qui refusa le prix) parmi les récompensés, il a attiré l'attention du grand public sur des œuvres très appréciées.

Mais les prix littéraires ne font-ils pas que récompenser les livres que nous savons déjà bons ? Sont-ils simplement l'occasion d’offrir des applaudissements bien mérités à ceux qui ont réalisé un ouvrage brillant ? Ou offrent-ils plutôt une meilleure visibilité à un livre qui mérite plus de reconnaissance ?

La réponse est sûrement un peu entre les deux ! Si l’on s’en réfère à Wikipedia, il existerait pas moins de 173 prix littéraires français, voire même plus de 2000 d’après d’autres sources en ligne, sans compter les prix internationaux pour lesquels les auteurs français sont aussi éligibles !

Chaque auteur peut bénéficier de ces récompenses, et les éditeurs s’emparent de l’opportunité pour mettre en avant leurs meilleurs auteurs et tenter d’obtenir ces fameux sésames qui leur ouvriront les portes de la notoriété et donc de meilleures ventes. Pour les auteurs, au delà de la reconnaissance de leur travail, c’est aussi de nouvelles opportunités et de commandes des maisons d’édition après un prix.

Pour les médias littéraires, les prix sont un sujet facile sur lequel écrire, qu’ils soient en accord ou non avec les Jury. Les clients, eux, se voient servir sur un plateau d’argent la liste des meilleurs livres du moment : à choisir entre deux livres, la logique nous fera le plus souvent choisir le livre primé !

Mais comment les prix littéraires fonctionnent-ils ?

Les prix diffèrent légèrement les uns des autres dans leur fonctionnement, mais la procédure à suivre reste le plus souvent identique.

  • De nombreuses candidatures pour chaque prix

Pour tout prix digne de ce nom, il incombe généralement à l’éditeur de présenter les livres qu’il pense méritants. Dans certains cas, le droit d’entrée sera payant (afin de limiter l’avalanche de livres proposés par chaque éditeur), ainsi qu’un court questionnaire à compléter pour fournir aux organisateurs quelques éléments d’information complémentaires, et indiquer dans quelles catégories le livre concourra.

Certains prix fonctionnent selon un système de quota, qui permet à des éditeurs préalablement sélectionnés de soumettre un nombre limité de livres. La qualité des soumissions influence le nombre de soumissions autorisées dans les années à venir générant une pression constante auprès des éditeurs pour ne présenter que leurs meilleurs livres.

Avec certains prix affirmant recevoir plus de 400 candidatures, comme le prix Goncourt, c’est aux organisateurs et jurés de décider ceux qui possèdent réellement une chance de gagner selon les critères spécifiques du prix. Il n’y a pas de limite de nominations, mais la fourchette habituelle se situe 12 et 20 sélectionnés.

Pour le prix Goncourt par exemple, ce seront les 13 présidents de l’académie qui décideront d’une quinzaine de livres nominés parmi des centaines de candidatures. "On fera le compte, au bout de ce premier tour de scrutin, et tous les romans qui ont obtenu la majorité absolue, c'est-à-dire au moins six voix, entreront dans la liste du Goncourt", explique Bernard Pivot, journaliste et président de l’académie Goncourt de 2014 à 2019.

  • Les sélectionnés

Un mois plus tard environ, soit le temps aux jurés de lire ou relire les livres proposés, la liste des sélectionnés est annoncée. Celle-ci permet de réduire le nombre de livres pour la victoire finale à 5 ou 6. La liste sera généralement constituée par les jurés eux-mêmes, qui auront voté pour celui qu’ils jugeront digne de passer à la prochaine étape.

En effet, il est déjà assez difficile de rassembler la crème de la crème des experts de la littérature afin de discuter ensemble du livre le plus méritant, qu’il ne serait pas raisonnable de leur en proposer une douzaine.

Une fois les finalistes confirmés, la compétition s’intensifie et les éditeurs commencent alors à promouvoir leurs titres, à la fois dans les librairies et dans les médias, essayant de jouer de leur influence afin de transformer une nomination en une victoire. Un peu comme aux Oscars ! Les auteurs enchaînent alors les interviews, aux discours souvent policés tels que “je suis déjà très reconnaissant de faire partie des nominés”, alors qu’ils croisent secrètement les doigts en espérant gagner.

  • Décerner le prix littéraire

Entre la sélection des finalistes et la remise du prix au vainqueur, un panel se rassemble pour échanger plus en détail sur les ouvrages présentés. C’est pour eux l’opportunité de partager leur point de vue, mais aussi d’entendre les pensées de leurs pairs avant de s’accorder sur une décision unanime, ou du moins une conclusion commune.

Pierre Assouline, romancier et biographe, fait partie du jury du Prix Goncourt depuis 2012, un rôle qu’il apprécie et dont il maîtrise désormais parfaitement les codes qui lui ont inspiré le livre Du côté de chez Drouant. Il raconte : "Quand j’aime un livre, arriver à convaincre d’autres gens de le lire, et arriver à lui donner une audience maximum, c’est un grand bonheur".

Virginie Despentes , lauréate du Renaudot en 2010 pour "Apocalypse Bébé" et membre du jury du prix Goncourt, ajoute "ce doit être un texte intéressant, qui puisse être décodé par énormément de gens. Mais des Goncourts très pointus sont aussi de bons choix. Ce qui compte, c’est ce qu’on est capable de bien défendre, donc ce qu’on aime le plus. Il faut aller vers ces livres-là et trouver des arguments pour faire évoluer l’avis des autres jurés. Cela permet aussi de comprendre ce qu’on cherche soi-même dans la littérature et pourquoi on a envie que tel ou tel roman soit lu par le plus de gens possible. On n’attend pas tous la même chose d’un livre".

Apocalypse Bébé
  • L’annonce des ouvrages primés

Certains récompensés seront informés par le biais des réseaux sociaux, tandis que d’autres apprendront les résultats lors d’une cérémonie plus glamour, sous les applaudissements des nominés affichant leur plus beau sourire pour lequel ils se sont longuement entraînés devant le miroir : “non vraiment, je ne suis pas déçu.” Les plus chanceux, eux, auront la chance de monter sur scène pour recevoir leur prix devant la foule : un moment qui restera gravé dans leur mémoire mais aussi dans de nombreuses retombées presse !

L’ampleur de l’annonce est généralement directement liée à la valeur rattachée au prix décerné. Celui-ci est en effet souvent sponsorisé par une entreprise qui voit en ce type d’événement une manière de renforcer son image de marque et de promouvoir sa philosophie.

De leur côté, les auteurs doivent habituellement prendre part à quelques actions de promotion. C’est là que les sponsors de prix littéraires espèrent leur retour sur investissement, grâce à des lectures publiques, des séances de dédicaces, des shootings photo et tout autre événement les associant aux auteurs auprès du grand public.

Des actions qui ne sont pas forcément du goût de tous les auteurs, dont certains préfèrent rester à l'écart des flashs et des caméras. Néanmoins, lorsque 15 minutes de gloire vous sont proposées, il est souvent difficile de refuser.

Quels sont les grands prix littéraires ?

Il existe un prix littéraire pour tous les types de livres, donc si vous recherchez des recommandations dans une catégorie très particulière, il existe forcément un prix qui lui correspond et qui vous guidera : en effet, il existe tout un monde au delà des prix les plus connus !

Certains récompensent simplement le “meilleur livre”, tandis que d’autres se concentrent sur certaines catégories bien précises, comme par exemple le meilleur livre pour enfants ou encore la meilleure biographie, la meilleure poésie, etc. Il n’y a aucune limite dans la création des prix, il existe même celui du meilleur livre politique!

Il existe également des prix dédiés aux auteures féminins, aux auteurs issus de minorités ethniques, ou même d’une confession, comme le Prix Claire Virenque dédié aux biographies d'inspiration chrétienne. Autre exemple particulier, les prix récompensant les auteurs d’un âge précis, comme le prix Prix Lucien Tisserant dédié aux auteurs de 40 à 50 ans.

Il existe aussi des prix littéraires locaux : le Prix littéraire des lycéens et apprentis de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Prix Plume d’Ancre, le Prix littéraire Les imaginaires, Le Prix des lecteurs de la Grande Région, et bien d’autres qui offriront le plus souvent un point de vue régional ou mettront en avant un nouveau talent en devenir.

Quel que soit le prix littéraire reçu, cela reste toujours un honneur, mais évidemment certains prix littéraires nationaux seront plus importants que d’autres dans une carrière. Et notamment dû à la composition du jury, ces derniers faisant une partie de la notoriété d’un prix !

Le prix littéraire français le plus connu en France et à l’étranger, créé en 1903. Il récompense chaque année un ouvrage écrit en français et publié par un éditeur francophone. La récompense ? 10 euros symboliques pour le lauréat ! La vraie récompense est évidemment la notoriété et la visibilité gagnée, assurant à l’auteur une carrière sans encombre.

Trois sélections sont réalisées de 15, 8 puis 4 livres avant la délibération finale. Parmi les récompensés : Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Amin Maalouf, Le Rocher de Tanios, ou plus récemment Lydie Salvayre, Pas pleurer et Leïla Slimani, Chanson douce.

À l'ombre des jeunes filles en fleurs
Chanson douce
  • Le Prix Femina

Un prix créé en 1904 par 22 collaboratrices du magazine La Vie heureuse pour contrer le Prix Goncourt jugé alors misogyne. Il se dote ainsi d’un jury exclusivement féminin et récompense chaque année un roman francophone. Si le jury est conséquent à sa création, il se compose aujourd’hui d’une douzaine de personnes.

Le prix Femina a notamment récompensé des auteurs renommés comme par exemple Antoine de Saint-Exupéry en 1931 pour Vol de nuit. On peut également citer Emmanuel Carrère avec La Classe de neige ou le dernier lauréat en date, Sylvain Prudhomme pour Par les routes.

  • Le prix Renaudot

Créé en 1926 par 10 journalistes et critiques, il se présente comme un complément naturel du Prix Goncourt de par sa proximité en date de l’annonce des résultats. Aucune dotation financière n’est remise, mais il génère environ 220 000 ventes en moyenne et offre aussi une grande visibilité médiatique aux lauréats.

Ce prix a récompensé de nombreux auteurs de renom, comme Louis Aragon, Georges Perec, Virginie Despentes ou encore Delphine de Vigan. .

L’édition 2019 a récompensé Sylvain Tesson pour La panthère des neiges dans la catégorie roman et Éric Neuhoff pour (Très) Cher cinéma français dans la catégorie essai.

La panthère des neiges

Reconnu en France, le Grand prix des lectrices Elle a été créé en 1970 et décerne un prix dans les catégories roman, document et polar. Un panel de 120 lectrices est mis en place chaque année pour élire le meilleur ouvrage dans chacune de ces trois catégories.

Ce prix a pour but de donner la parole à des femmes qui aiment lire, et non à des professionnels du monde littéraire comme d’autres grands prix.

Une présélection des ouvrages est réalisée par la rédaction du magazine Elle, avant d’être présentée au panel. Les premiers romans, jeunes auteurs et nouvelles maisons d’édition sont privilégiés tandis que les oeuvres déjà récompensées par d’autre grand prix sont elles exclues de la sélection.

À l’occasion de ses 50 ans, le magazine ELLE a organisé une cérémonie publique où des auteurs reconnus ont pu partager leur expérience et rencontrer les lecteurs.

  • Le Grand Prix de littérature de l’académie française

Décerné par l’académie française depuis 1911, ce prix littéraire est financé par la fondation Le Métais-Larivière et distingue tous les deux ans un auteur pour l’ensemble de son oeuvre et de sa carrière, en alternance avec le Grand prix de littérature Paul-Morand.

À l’inverse des autres prix cités, le Grand Prix de littérature de l’académie française distingue un auteur pour l’ensemble de sa carrière et non pour une seule de ses oeuvres.

En 2019, il est remis à Régis Debray, également membre de l’Académie Goncourt depuis 2011.

Les prix littéraires sont-ils nécessaires ?

Cette industrie n’en serait pas une sans ses détracteurs. Comme pour toutes les formes d’art, l’écriture requiert une créativité et un sens de l’expression. Qui peut donc dire qu’une prose est “meilleure” qu’une autre et mérite donc d’être récompensée d’un prix ?

Écrire un livre n’est pas un sport où la reconnaissance découle des résultats sportifs qui parlent d’eux même ! Si Laure Manaudou est si connue, c’est qu’elle a nagé plus vite que les autres, idem pour Michael Jordan, qui a su gagner plus de titres avec son équipe. Pour les auteurs, c’est plus compliqué vous en conviendrez.

Tout sport a besoin de vainqueurs et de perdants, mais c’est un argument difficilement applicable à l’art. De grandes œuvres brillent indépendamment des opinions personnelles, des humeurs ou des préjugés d'un groupe d'experts.

Vol de nuit d'Antoine de Saint-Exupéry, L’invitée de Simone de Beauvoir, ou encore Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline n’ont par exemple pas remporté le Prix Goncourt en 1931, 1932 et 1943, années respectives de leurs sorties. Cela n’a pour autant pas nui à leur place dans l'histoire littéraire et à leur influence dans la littérature d’aujourd’hui.

Être un lauréat est, bien sûr, un honneur, mais ce n'est évidemment pas une finalité. Le simple fait de publier un livre et d’être présent sur les étagères, virtuelles ou physiques, des lecteurs est une réussite suffisante pour un grand nombre d’auteurs.