Rivage de la colère

Vous êtes franco-mauricienne, vous avez grandi en Polynésie : quel genre d’élan votre histoire a-t-elle donné à l’écriture de ce livre ?

Je porte en moi les îles, les tropiques, qui se confondent avec mon enfance et ma famille maternelle, autant dire les deux sources qui irriguent la femme que je suis aujourd’hui. L’écriture de ces lieux m’est naturelle, et même nécessaire. Comme une respiration.

Vous présentez un moment apparemment heureux, l’indépendance de Maurice, appuyé par un fond beaucoup plus tragique. En réalité, Rivage de la colère raconte d’abord l’histoire de la violence que représente l’exil ? D'ailleurs, les répercussions de l’héritage de cet exil sur vous ont-elles fait de cet ouvrage un livre engagé ?

Je ne crois pas du tout que l’indépendance de Maurice ait été un moment heureux ; quand j’entends ma mère, mauricienne, me raconter ce qui s’est passé, je n’y trouve aucune trace de bonheur. Et le sort infâme réservé aux Chagossiens achève le portrait bien sombre de ce moment de l’histoire. L’exil est toujours une violence, mais cette violence est plus brutale encore quand on n’a rien choisi. Les Chagossiens ont été arrachés à leurs terres ancestrales. Plus qu’un exil, il s’agit d’une déportation. Mon admiration pour ce peuple qui continue à se battre vaille que vaille face aux superpuissances britannique et américaine fait du livre, malgré moi, un roman engagé. C’est venu comme ça, je n’avais rien calculé au départ.

C’est une femme qui va être à l’origine du combat des chagossiens, en quoi cet élément avait-il une importance ?

Dans la réalité, ce sont bien les femmes chagossiennes qui ont initié la lutte, la révolte. Faire de Marie-Pierre Ladouceur, la protagoniste du roman, la première combattante était une manière de rendre hommage à ces héroïnes bien réelles. Citons-les : Rita Bancoult, Lisette Talate, Charlésia Alexis.

Qu’est-ce que le roman, la fiction, vient incarner ici, dans cette histoire qui, au fond, est d’abord un fait historique ?

Quand on choisit la forme romanesque, plutôt que celle du récit ou de la poésie par exemple, on choisit de mettre en scène des personnages : des personnages à faire vivre, grandir, qui sont des projections de nous et des autres. Je voulais que les lecteurs, ainsi que les auditeurs, referment le livre en se disant : « Moi aussi, je suis chagossien. » Qu’ils aient vécu dans leurs tripes la tragédie de l’arrachement et de la déportation ; que la juste colère chagossienne soit passée dans leurs veines.

Vous êtes-vous appuyée sur beaucoup de documentation pour retranscrire une telle ambiance ?

Oui, j’ai passé beaucoup de temps à discuter et échanger avec les Chagossiens, ainsi qu’à éplucher les archives. Mais comme toujours, la documentation est à double tranchant : nécessaire dans la phase de réflexion, il faut impérativement la digérer et l’oublier dans la phase d’écriture pour qu’elle ne prenne pas le pas sur la fiction. Je n’écrivais pas un livre d’histoire, mais bel et bien un roman.

Dans quel contexte l’avez-vous rédigé ?

L’écriture a été difficile. Parce que je ne trouvais pas le bon fil, que je ne me faisais pas assez confiance, que je tâtonnais sans cesse. J’ai beaucoup réfléchi, louvoyé, puis enfin, j’ai écrit très vite.

Vous êtes également éditrice : quel regard portez-vous sur votre propre écriture ?

Je suis impitoyable, je ne vois que les défauts.

C’est vous même qui avez adapté votre livre en audio : quelle expérience c’était, de poser sa voix sur ses propres mots ?

Ah, j’ai adoré ça ! C’était une deuxième naissance, une redécouverte de mes propres mots. J’ai eu la chance d’être guidée par un réalisateur fabuleux, Jean-Christophe Vareille, du studio Rosalie, qui m’a appris à poser ma voix, à donner vie aux silences, à affiner les intentions (ironie, douceur, peur…), à jouer avec les personnages. J’étais dans le cocon du studio, mon casque sur les oreilles, dans une sorte de hors-temps. Je crois que c’est grâce à cet enregistrement au long cours que j’ai fini par adopter mon propre livre. Je l’ai apprivoisé pendant la lecture.

Selon vous, quelle dimension le livre audio peut apporter à un livre ?

La voix crée une intimité immédiate, troublante parfois, qui rapproche de façon saisissante l’auditeur de l’auteur. Si je n’aime pas trop la télévision, je suis une grande adepte de la radio. La voix, toujours. Cette empreinte mystérieuse, qui ne triche pas, qui se donne à l’autre… Je crois vraiment que le livre audio offre cela : un lien intime avec le texte, une percée des émotions.

Avez-vous déjà un nouveau projet d’écriture ?

Je ressens un fourmillement… mais il est encore tôt, trop tôt, pour en dire plus.

Et enfin, quel est votre dernier livre coup de cœur ?

Carmen et Teo, d’Olivier Duhamel et Delphine Grouès. Le roman vrai de deux héros chiliens rattrapés par la dictature de Pinochet et contraints à l’exil. Deux personnalités inspirantes, qui peuvent nous aider à cheminer dans les temps obscurs que nous traversons aujourd’hui…

Et soudain, la liberté

Crédit photo : Philippe Matsas